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philippotremy

Disproportion durée de fermeture administrative pour travail dissimulé et référé liberté

Tribunal administratif de Lyon, 4 avril 2024, 2403141


Vu la procédure suivante

 : Par une requête enregistrée le 30 mars 2024, la société Say représentée par sa gérante et par Me Clément, demande au juge des référés, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : 1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 25 mars 2024 par lequel la préfète de l'Ardèche a prononcé la fermeture administrative de l'établissement " Istanbul Kebab " qu'elle exploite, situé sur le territoire de la commune du Pouzin, pour une durée de trois mois ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - la condition d'urgence est remplie dès lors que la fermeture administrative de l'établissement pendant trois mois aura des conséquences graves sur sa situation financière et économique fragile et menace sa pérennité ; elle aura également des conséquences graves sur les produits alimentaires périssables dont elle dispose ; la gérante et son époux, parents de quatre enfants, ont pour seules ressources l'activité de l'établissement ; - l'arrêté en litige porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie dès lors que l'infraction de travail dissimulé n'est pas constituée en l'absence de caractère intentionnel ; la gérante de la société a effectué toutes les démarches utiles pour la régularisation des deux salariés en situation irrégulière qu'elle employait et a obtenu des autorisations de travail les 24 janvier et 22 mars 2024, ces deux salariés ayant en outre fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche le 10 janvier 2024 ; la préfète de l'Ardèche n'a pas pris en compte la situation globale de l'établissement ; la mesure en litige est disproportionnée et entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Par un mémoire en défense enregistré le 2 avril 2024, la préfète de l'Ardèche conclut au rejet de la requête. Elle soutient que : - l'attestation de l'URSSAF produite et l'amorce de régularisations sont postérieures au contrôle ; - les difficultés de recrutement invoquées n'ont pas été évoquées lors de l'audition de la gérante de la société requérante, qui faisait alors état de relations amicales ; - un précédent contrôle effectué en août 2023 avait abouti aux mêmes constats et avait fait l'objet d'une lettre d'observations, ce qui démontre l'intention de frauder. Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ; - le code de justice administrative. La présidente du tribunal a désigné Mme Vaccaro-Planchet, vice-présidente, pour statuer sur les requêtes en référé. Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique. Ont été entendus au cours de l'audience publique, tenue en présence de Mme Touja, greffière d'audience : - le rapport de Mme Vaccaro-Planchet ; - les observations de Me Clément, représentant la société Say, en présence de Mme A, gérante de la société. La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.

Considérant ce qui suit

 : 1. La société Say exploite l'établissement " Istanbul Kebab ", situé sur le territoire de la commune du Pouzin. Par un arrêté du 25 mars 2024, la préfète de l'Ardèche a ordonné la fermeture administrative de cet établissement pour une durée de trois mois à compter de sa notification, au motif que, lors du contrôle effectué par les services de l'inspection du travail le 23 novembre 2023 les infractions au code du travail de travail dissimulé par dissimulation d'emplois salariés et emploi d'étrangers non munis d'une autorisation de travail salarié avaient été constatées. La société Say demande au juge des référés, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cet arrêté. Sur les conclusions à fin de suspension de l'arrêté en litige :

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ". En ce qui concerne l'urgence :

3. L'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonné à la condition qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention d'une mesure de sauvegarde dans les quarante-huit heures destinée à la sauvegarde d'une liberté fondamentale.

4. Pour justifier d'une situation d'urgence, la société Say soutient que le maintien de la fermeture jusqu'au terme de la période de trois mois est de nature à compromettre gravement son équilibre financier et produit plusieurs documents comptables dont il ressort que la société requérante présente une situation financière fragile, avec un résultat d'exploitation positif de 2 208,37 euros pour l'année 2022, ainsi qu'une attestation d'un expert-comptable datée du 29 mars 2024 selon laquelle une fermeture supérieure à quinze jours mettrait la société requérante en très grande difficulté financière. Dans ces conditions, et eu égard au caractère périssable des produits alimentaires proposés, la société requérante justifie que l'arrêté contesté préjudicie de manière grave et immédiate à ses intérêts économiques et financiers, caractérisant ainsi une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. En ce qui concerne l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

5. D'une part, la liberté d'entreprendre constitue une liberté fondamentale et la fermeture administrative d'une société commerciale peut, sous certaines conditions, porter une atteinte à cette liberté fondamentale justifiant l'intervention du juge des référés administratifs statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 8272-2 du code du travail : " Lorsque l'autorité administrative a connaissance d'un procès-verbal relevant une infraction prévue aux 1° à 4° de l'article L. 8211-1 ou d'un rapport établi par l'un des agents de contrôle mentionnés à l'article L. 8271-1-2 constatant un manquement prévu aux mêmes 1° à 4°, elle peut, si la proportion de salariés concernés le justifie, eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés, ordonner par décision motivée la fermeture de l'établissement ayant servi à commettre l'infraction, à titre temporaire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois. (). ". Aux termes de l'article L. 8211-1 du même code : " Sont constitutives de travail illégal, dans les conditions prévues par le présent livre, les infractions suivantes 1° Travail dissimulé ; / 2° Marchandage ; / 3° Prêt illicite de main-d'oeuvre ; / 4° Emploi d'étranger sans titre de travail ; / 5° Cumuls irréguliers d'emplois ; / 6° Fraude ou fausse déclaration prévue aux articles L. 5124-1 et L. 5429-1. ". Aux termes de l'article L. 8221-5 de ce code : " Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ; 2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, () ; 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales. ". Enfin, selon l'article L. 8251-1 du même code : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (). ".

7. En outre, aux termes de l'article R. 8272-8 du code précité : " Le préfet tient compte, pour déterminer la durée de fermeture d'au plus trois mois du ou des établissements ayant servi à commettre l'infraction conformément à l'article L. 8272-2, de la nature, du nombre, de la durée de la ou des infractions relevées, du nombre de salariés concernés ainsi que de la situation économique, sociale et financière de l'entreprise ou de l'établissement. La décision du préfet est portée à la connaissance du public par voie d'affichage sur les lieux du ou des établissements. ().".

8. Il résulte de l'instruction que lors du contrôle effectué le 23 novembre 2023 par les services de l'inspection du travail au sein de l'établissement " Istanbul Kebab ", il a été constaté que la société employait en situation de travail dissimulé deux salariés, lesquels se trouvaient en situation irrégulière et sans titre les autorisant à travailler. La société requérante ne conteste pas la situation d'emploi sans titre de ces deux salariés. Ces infractions sont de nature à justifier le prononcé, sur le fondement des dispositions rappelées ci-dessus du code du travail, de la sanction administrative de fermeture provisoire de l'établissement.

9. Toutefois l'emploi sans titre de travail concerne deux salariés sur un effectif total de cinq salariés à la date du contrôle effectué. En outre, la société requérante établit avoir, postérieurement au contrôle mais antérieurement à l'arrêté en litige, présenté des demandes d'autorisation de travail pour les deux salariés concernés, délivrées les 24 janvier et 22 mars 2024 et avoir en outre soumis à l'URSSAF une déclaration préalable à leur embauche le 10 janvier 2024. Enfin, la préfète de l'Ardèche n'apporte aucun élément de nature à établir que l'établissement aurait fait l'objet d'un précédent contrôle, alors que la gérante de la société requérante a fait valoir durant l'audience que le contrôle effectué le 2 juin 2023 s'inscrit dans le cadre de la même procédure que la procédure en litige et qu'aucun délit de travail dissimulé ou d'emploi d'étrangers non munis d'une autorisation de travail salarié n'avait alors été constaté. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, et alors que la sanction prononcée entraînerait pour la société requérante des conséquences économiques et financières excessives, en fixant à trois mois la durée de la fermeture de l'établissement " Istanbul Kebab ", la préfète de l'Ardèche a entaché sa décision d'une disproportion manifeste et a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre.

10. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre, à effet immédiat, l'exécution de l'arrêté contesté de la préfète de l'Ardèche du 25 mars 2024 prononçant la fermeture administrative provisoire pour une durée de trois mois de l'établissement " Istanbul Kebab ". Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à la société Say au titre des frais liés au litige.

O R D O N N E :

Article 1er : L'exécution de l'arrêté du 25 mars 2024 de la préfète de l'Ardèche portant fermeture administrative pour une durée de trois mois de l'établissement " Istanbul Kebab " est suspendue. Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à la société Say au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Say et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de l'Ardèche. Fait à Lyon le 4 avril 2024. La juge des référés,La greffière, V. Vaccaro-PlanchetC. Touja La République mande et ordonne à la préfète de l'Ardèche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier

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