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IEF et référé suspension: démonstration de l'urgence au sens de l'article L. 521-1 CJA




Tribunal administratif de Toulon, 30 août 2024, 2402712


Vu la procédure suivante

 : Par une requête, enregistrée le 20 août 2024, Mme C B et M. A D, représentés par Me Habib, demandent au juge des référés : 1°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de la décision du 9 juillet 2024, par laquelle la commission de l'académie de Nice devant laquelle sont formés les recours administratifs préalables obligatoires exercés contre les décisions de refus d'instruction dans la famille, a refusé de leur délivrer l'autorisation d'instruire leur enfant, E, au sein de la famille au titre de l'année scolaire 2024-2025, rejetant les recours formés contre la décision du 12 juin 2024 par laquelle l'inspecteur d'académie, directeur académique des services de l'Education nationale du Var, a rejeté leur demande d'autorisation d'instruire leur enfant sur le fondement du 1° de l'article L.131-5 du code de l'éducation au motif de l'état de santé de leur enfant, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ; 2°) d'enjoindre à l'académie d'autoriser l'instruction en famille ; 3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que : 1°) l'urgence est justifiée, dès lors que la demande de suspension concerne un refus d'autorisation opposable à la rentrée prochaine, qui est imminente, et alors que la scolarisation a été un échec l'année précédente, l'enfant ayant une phobie de l'école nuisant gravement à son état de santé et pouvant ressentir la nouvelle scolarisation comme une injustice ; 2°) s'agissant de l'existence de moyens propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision : - la décision querellée est insuffisamment motivée, au regard des dispositions de l'article L.211-2 du code des relations entre le public et l'administration ; - la décision est entachée d'erreur de droit, son auteur ayant considéré " que l'état de santé de l'enfant ne permet pas de justifier qu'il lui soit obligatoirement donnée l'instruction dans la famille ", sans étudier l'instruction la plus conforme à l'intérêt de l'enfant ; - la décision est entachée d'erreur d'appréciation car l'état de santé psychique de l'enfant est gravement menacé par sa scolarisation au sein d'une école ; l'autorisation d'instruction en famille avait été accordée l'année précédente compte tenu de l'échec de la scolarisation et sur le fondement des mêmes pièces médicales. Par un mémoire en défense, enregistré le 29 aout 2024, la rectrice de l'académie de Nice conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que : - la condition d'urgence n'est pas remplie ; - au motif adopté par la décision attaquée, tenant à la circonstance que les éléments constitutifs de la demande d'autorisation d'instruction dans la famille ne permettent pas d'attester que l'état de santé de l'enfant des requérants n'est pas compatible avec sa scolarisation, doit être substitué le motif tenant à ce qu'il ressort des pièces du dossier qu'en dépit de son état de santé, qui ne rendait pas impossible sa scolarisation, la scolarisation du fils des requérants apparaît comme le mode d'instruction le plus conforme à son intérêt ; - il n'existe aucun doute sérieux quant à la légalité de sa décision.

Vu :

- les autres pièces du dossier ; - la requête enregistrée le 20 aout 2024 au tribunal administratif de Toulon sous le numéro 2402708 par laquelle Mme B et M. D demandent l'annulation de la décision attaquée. Vu : - le code de l'éducation ; - le code de l'action sociale et des familles ; - la loi n° 2021 1109 du 24 août 2021 et notamment son article 49 ; - le code de justice administrative. La présidente du tribunal a désigné M. Sauton, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé. Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 30 août 2024. Au cours de l'audience publique tenue en présence de M. Berenger, greffier d'audience, M. Sauton a lu son rapport et entendu : - les observations de Me Habib représentant Mme B et M. D, et celles de Mme B. Après avoir prononcé la clôture de l'instruction à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit

 : Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : 1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. () " et aux termes de l'article L. 522-1 dudit code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique. () ". Enfin aux termes du premier alinéa de l'article R. 522-1 dudit code : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit () justifier de l'urgence de l'affaire. ".

2. D'une part, il résulte de ces dispositions que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte-tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

3. La décision litigieuse a directement pour effet de contraindre les requérants à inscrire dès maintenant l'enfant F, en vue de la scolariser en septembre 2024, soit à une date imminente, dans un établissement scolaire en capacité de l'accueillir, alors qu'il résulte de l'instruction et, en particulier, d'un courrier circonstancié de la mère de l'enfant daté du 16 février 2024 faisant valoir la forte anxiété de son enfant à la perspective de fréquenter son établissement scolaire, ainsi que d'un certificat médical d'un médecin psychiatre du 16 février 2024 que l'enfant " F souffre d'insomnie, d'anorexie, de crises de colère inexpliquées, de changements de comportements récents brutaux, une anxiété physique (maux de ventre, maux de têtes), d'une anxiété psychique, d'irritabilité, Début des troubles constatés en Janvier 2024. F souffre d'un refus scolaire anxieux sévère incompatible avec la scolarisation en milieu scolaire ordinaire et ceux pour une durée indéterminée. () Au vue des éléments constatés ci-dessus, poursuivre cette scolarisation physique expose l'enfant à des retards dans les acquisitions neuro développementales est dommageable pour sa santé mentale d'une manière générale. Ainsi, dans ces conditions, je préconise la scolarisation par le CNED ". Il appert en outre du dossier que la scolarisation a été un échec l'année précédente, l'enfant ayant développé une phobie de l'école nuisant gravement à son état de santé, en dépit d'un aménagement de sa scolarité. Les services de la rectrice de l'académie de Nice ont d'ailleurs accordé l'autorisation d'instruction en famille au cours de l'année précédente au motif de l'état de santé de l'enfant. La condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit, dans ces conditions, être regardée comme remplie.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 131-5 du code de l'éducation, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : " Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire définie à l'article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien, à condition d'y avoir été autorisées par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, lui donner l'instruction en famille. / Les mêmes formalités doivent être accomplies dans les huit jours qui suivent tout changement de résidence. / La présente obligation s'applique à compter de la rentrée scolaire de l'année civile où l'enfant atteint l'âge de trois ans. / L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant : / 1° L'état de santé de l'enfant ou son handicap ; / 2° La pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ; / 3° L'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public ; / 4° L'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d'instruire l'enfant à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans ce cas, la demande d'autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l'engagement d'assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l'instruction en famille. / L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour une durée qui ne peut excéder l'année scolaire. Elle peut être accordée pour une durée supérieure lorsqu'elle est justifiée par l'un des motifs prévus au 1°. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités de délivrance de cette autorisation. / L'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation peut convoquer l'enfant, ses responsables et, le cas échéant, les personnes chargées d'instruire l'enfant à un entretien afin d'apprécier la situation de l'enfant et de sa famille et de vérifier leur capacité à assurer l'instruction en famille. / En application de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration, le silence gardé pendant deux mois par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation sur une demande d'autorisation formulée en application du premier alinéa du présent article vaut décision d'acceptation. / La décision de refus d'autorisation fait l'objet d'un recours administratif préalable auprès d'une commission présidée par le recteur d'académie, dans des conditions fixées par décret. / Le président du conseil départemental et le maire de la commune de résidence de l'enfant sont informés de la délivrance de l'autorisation () ". Pour la mise en œuvre de ces dispositions, dont il résulte que les enfants soumis à l'obligation scolaire sont, en principe, instruits dans un établissement d'enseignement public ou privé, il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle est saisie d'une demande tendant à ce que l'instruction d'un enfant dans la famille soit, à titre dérogatoire, autorisée, de rechercher, au vu de la situation de cet enfant, quels sont les avantages et les inconvénients pour lui de son instruction, d'une part dans un établissement d'enseignement, d'autre part, dans la famille selon les modalités exposées par la demande et, à l'issue de cet examen, de retenir la forme d'instruction la plus conforme à son intérêt.

5. En l'état de l'instruction, alors que la rectrice de l'académie de Nice ne produit en défense aucune pièce à l'appui de sa démonstration, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation car l'état de santé psychique de l'enfant E est, à ce jour, gravement menacé par sa scolarisation au sein d'une école, est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. En ce qui concerne la demande de substitution de motif :

6. L'administration peut faire valoir, devant le juge des référés, que la décision dont il est demandé la suspension de l'exécution, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge des référés, après avoir mis à même l'auteur de la requête, dans des conditions adaptées à l'urgence qui caractérise la procédure de référé, de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher s'il ressort à l'évidence des données de l'affaire, en l'état de l'instruction, que ce motif est susceptible de fonder légalement la décision et que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative et à condition que la substitution demandée ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué, le juge des référés peut procéder à cette substitution pour apprécier s'il y a lieu d'ordonner la suspension qui lui est demandée.

7. La rectrice de l'académie de Nice demande qu'au motif adopté par la décision attaquée, tenant à la circonstance que les éléments constitutifs de la demande d'autorisation d'instruction dans la famille ne permettent pas d'attester que l'état de santé de l'enfant des requérants n'est pas compatible avec sa scolarisation, doit être substitué le motif tenant à ce qu'il ressort des pièces du dossier qu'en dépit de son état de santé, qui ne rendait pas impossible sa scolarisation, la scolarisation du fils des requérants apparaît comme le mode d'instruction le plus conforme à son intérêt.

8. Toutefois, la substitution de motifs demandée est sans incidence sur le moyen retenu, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, tiré de l'erreur manifeste d'appréciation car l'état de santé psychique de l'enfant E est, à ce jour, gravement menacé par sa scolarisation au sein d'une école.

9. Sans qu'il soit besoin de statuer sur la demande de substitution de motif ni sur les autres moyens de la requête, les deux conditions prévues par l'article L. 521-1 du code de justice administrative étant remplies, il y a lieu de suspendre l'exécution de la décision du 9 juillet 2024, par laquelle la commission de l'académie de Nice devant laquelle sont formés les recours administratifs préalables obligatoires exercés contre les décisions de refus d'instruction dans la famille, a refusé de leur délivrer l'autorisation d'instruire leur enfant, E, au sein de la famille au titre de l'année scolaire 2024-2025. Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. La mesure de suspension implique que la rectrice de l'académie de Nice délivre à M. D et Mme B une autorisation d'instruction dans la famille pour leur enfant E à titre provisoire, dans l'attente du jugement de la requête au fond n° 2402708. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de 7 jours à compter de la notification de la présente ordonnance. Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat (rectrice de l'académie de Nice) la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : L'exécution de la décision de la commission de l'académie de Nice devant laquelle sont formés les recours administratifs préalables obligatoires exercés contre les décisions de refus d'instruction dans la famille, en date du 9 juillet 2024, est suspendue. Article 2 : Il est enjoint à la rectrice de l'académie de Nice de délivrer à M. D et Mme B une autorisation d'instruction dans la famille pour leur enfant F D à titre provisoire, dans l'attente du jugement de la requête au fond n° 2402708, dans un délai de 7 jours à compter de la notification de la présente ordonnance. Article 3 : L'Etat versera à Mme B et M. D la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C B, à M. A D et à la rectrice de l'académie de Nice. Fait à Toulon, le 30 aout 2024. Le vice-président désigné, Signé JF. SAUTON La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition conforme,

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