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IEF: juge administratif du fond et examen de l'erreur manifeste d'appréciation

Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, 3ème Chambre, 14 juin 2024, 2301859


Vu la procédure suivante : Par une requête enregistrée le 14 août 2023, Mme C et M. D B, représentés par Me Opyrchal, demandent au tribunal : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 20 juillet 2023 par laquelle la commission chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus d'autorisation d'instruction en famille a rejeté leur recours contre la décision du 5 juillet 2023 de la directrice académique des services de l'éducation nationale des Ardennes rejetant leur demande tendant à ce que leur fille A puisse bénéficier d'une telle autorisation pour l'année scolaire 2023/2024 ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que :- la décision en litige est insuffisamment motivée en l'absence de mention de la composition de la commission, de précision sur les membres présents, d'indication sur le fait que le refus a recueilli la majorité des suffrages des membres présents et en l'absence de précision sur le niveau de classe dans lequel l'enfant devra s'inscrire ;- elle méconnaît les dispositions des articles D. 131-11-11 à D. 131-11-13 du code de l'éducation ;- elle est entachée d'erreur de droit, l'administration étant en situation de compétence liée ;- elle est également entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 avril 2024, le recteur de l'académie de Reims conclut au non-lieu à statuer. Il fait valoir que la décision du 20 juillet 2023 a été rapportée. Le recteur de l'académie de Reims a produit un mémoire en défense enregistré le 23 mai 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction intervenue trois jours francs avant la date de l'audience. Par une décision du 12 janvier 2024, le président du bureau d'aide juridictionnelle a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme et M. B. Vu les autres pièces du dossier. Vu :- le code de l'éducation ;- le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique :- le rapport de M. Maleyre, premier conseiller,- et les conclusions de M. Friedrich, rapporteur public. Considérant ce qui suit :

1. L'enfant de Mme et M. B, A, née le 15 septembre 2012, est atteinte de dysphasie sévère et de phobie scolaire invalidante, pathologies qui avaient justifié que ses parents obtiennent une autorisation d'instruire en famille durant l'année scolaire 2022/2023. Les intéressés ont présenté une demande au titre de l'année scolaire 2023/2024, qui a été rejetée par une décision de la directrice académique des services de l'éducation nationale (DASEN) des Ardennes du 5 juillet 2023, confirmée par la commission chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus d'autorisation d'instruction en famille du 20 juillet suivant. Mme et M. B demandent au tribunal l'annulation de cette dernière décision. Sur l'exception de non-lieu opposée par le recteur de l'académie de Reims :

2. Il ressort des pièces du dossier que l'autorisation provisoire d'instruction en famille du 14 septembre 2023 a été adoptée pour l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en Champagne du 30 août 2023. Cette décision, qui revêt par sa nature même un caractère provisoire, n'a pas pour effet de priver d'objet les conclusions tendant à l'annulation de la décision initiale de refus du 20 juillet 2023 de la commission chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus d'autorisation d'instruction en famille. Dans ces conditions, l'exception de non-lieu soulevée en défense par le recteur de l'académie de Reims doit être écartée. Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 14 septembre 2023 :

3. Aux termes de l'article L. 131-5 du code de l'éducation : " Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire dé nie à l'article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien, à condition d'y avoir été autorisées par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, lui donner l'instruction en famille. / Les mêmes formalités doivent être accomplies dans les huit jours qui suivent tout changement de résidence. / La présente obligation s'applique à compter de la rentrée scolaire de l'année civile où l'enfant atteint l'âge de trois ans. / L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant : / 1° L'état de santé de l'enfant ou son handicap ; () / L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour une durée qui ne peut excéder l'année scolaire. Elle peut être accordée pour une durée supérieure lorsqu'elle est justifiée par l'un des motifs prévus au 1°. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités de délivrance de cette autorisation. / L'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation peut convoquer l'enfant, ses responsables et, le cas échéant, les personnes chargées d'instruire l'enfant à un entretien a n d'apprécier la situation de l'enfant et de sa famille et de vérifier leur capacité à assurer l'instruction en famille. / En application de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration, le silence gardé pendant deux mois par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation sur une demande d'autorisation formulée en application du premier alinéa du présent article vaut décision d'acceptation. / La décision de refus d'autorisation fait l'objet d'un recours administratif préalable auprès d'une commission présidée par le recteur d'académie, dans des conditions fixées par décret. / Le président du conseil départemental et le maire de la commune de résidence de l'enfant sont informés de la délivrance de l'autorisation () ". Pour la mise en œuvre de ces dispositions, dont il résulte que les enfants soumis à l'obligation scolaire sont, en principe, instruits dans un établissement d'enseignement public ou privé, il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle est saisie d'une demande tendant à ce que l'instruction d'un enfant dans la famille soit, à titre dérogatoire, autorisée, de rechercher, au vu de la situation de cet enfant, quels sont les avantages et les inconvénients pour lui de son instruction, d'une part dans un établissement d'enseignement, d'autre part, dans la famille selon les modalités exposées par la demande et, à l'issue de cet examen, de retenir la forme d'instruction la plus conforme à son intérêt.

4. Aux termes de l'article R. 131-11-2 du code de l'éducation : " Lorsque la demande d'autorisation est motivée par l'état de santé de l'enfant, elle comprend un certi cat médical de moins d'un an sous pli fermé attestant de la pathologie de l'enfant. / Lorsque la demande d'autorisation est motivée par la situation de handicap de l'enfant, elle comprend le certi cat médical prévu par l'article R. 146-26 du code de l'action sociale et des familles sous pli fermé ou les décisions relatives à l'instruction de l'enfant de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées. / Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le directeur académique des services de l'éducation nationale transmet le certi cat médical sous pli fermé au médecin de l'éducation nationale. Celui-ci rend un avis sur cette demande. / Une autorisation justi ée par l'état de santé de l'enfant ou son handicap peut être accordée pour une durée maximale de trois années scolaires ".

5. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative, régulièrement saisie d'une demande en ce sens, d'autoriser l'instruction d'un enfant dans sa famille lorsqu'il est établi que son état de santé rend impossible sa scolarisation dans un établissement d'enseignement public ou privé ou lorsque l'instruction dans sa famille est, en raison de cet état de santé, la plus conforme à son intérêt.

6. Pour refuser d'accorder à Mme et M. B une autorisation d'instruction de leur enfant en famille pour l'année scolaire 2023/2024, la commission chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de l'académie de Reims a considéré que l'état de santé de A lui permettait de suivre une scolarité dans un établissement d'enseignement public ou privé, dès lors que le médecin de l'éducation nationale a émis un avis favorable, que la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) des Ardennes a accordé à l'enfant le 20 mars 2023 une aide humaine à travers les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et qu'elle bénéficie d'un suivi médico-social par un service d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD). Toutefois, il ressort des pièces du dossier, en particulier des certificats médicaux concordants établis par un praticien hospitalier, médecin pédopsychiatre, des 6 février et 14 juin 2023 que A est dans l'impossibilité de suivre une scolarité dans un établissement d'enseignement scolaire. Dans ces conditions, et alors qu'une autorisation d'instruction en famille avait été accordée l'année scolaire précédente pour suivre les enseignements dispensés par le centre national d'enseignement à distance (CNED) au titre du cours préparatoire, à la suite desquels ce dernier avait proposé une poursuite des enseignements en cours élémentaire première année, la décision du 14 septembre 2023 est entachée d'erreur d'appréciation et doit être annulée pour ce motif.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme et M. B sont fondés à demander l'annulation de la décision du 20 juillet 2023. Sur l'injonction d'of ce :

8. Eu égard au motif qui la fonde, l'annulation prononcée par le présent jugement implique nécessairement, sous réserve de l'absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, que l'Etat (DASEN des Ardennes) autorise l'instruction en famille au pro t de la jeune A pour l'année scolaire en cours. Il y a dès lors lieu de l'enjoindre à délivrer cette autorisation dans un délai de cinq jours à compter de la notification du jugement. Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme et M. B et non compris dans les dépens. Article 1er : La décision du 20 juillet 2023 est annulée. Article 2 : Il est enjoint à l'Etat (directrice académique des services de l'éducation nationale des Ardennes de délivrer à Mme et M. B une autorisation d'instruction en famille pour leur lle A au titre de l'année scolaire en cours dans un délai de cinq jours à compter de la noti cation du présent jugement. Article 3 : L'Etat versera à Mme et M. B une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le présent jugement sera noti é à Mme C et M. D B ainsi qu'à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

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