Tribunal administratif de Grenoble, 17 mai 2024, 2403354
Vu la procédure suivante
: Par une requête, enregistrée le 15 mai 2024, Mme A B, représentée par Me Choley, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : 1°) de suspendre l'exécution de la décision datée du 29 mars 2024 par laquelle la formation restreinte du Conseil régional de l'Ordre des infirmiers Auvergne-Rhône-Alpes a estimé que son état de santé rend dangereux l'exercice de la profession, a prononcée à son encontre une suspension du droit d'exercer la profession pour une durée d'un an et a subordonné la reprise de l'activité professionnelle de l'infirmière aux résultats d'une expertise médicale effectuée dans les conditions de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique, dans l'attente de la décision du Conseil national de l'Ordre des infirmiers statuant sur la contestation de la mesure ; 2°) de mettre à la charge du Conseil régional de l'Ordre des infirmiers Auvergne-RhôneAlpes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance. Elle soutient que : - l'urgence est constituée dès lors qu'elle est interdite d'exercice depuis la notification de la décision le 10 mai 2024 ; ses revenus proviennent quasi-exclusivement de son activité d'infirmière libérale conventionnée, de sorte qu'elle se trouve privée de tout revenu depuis le 10 mai 2024 ; elle se trouve dans l'incapacité de faire face aux charges professionnelles qu'implique son activité libérale ; de plus, l'impossibilité de prendre en charge ses patients va entraîner une dissipation de sa patientèle, les patients étant contraints d'aller trouver d'autres professionnels infirmiers pour bénéficier des soins qui leurs sont indispensables ; en outre, elle n'est plus en mesure de faire face à ses charges personnelles, alors qu'elle doit s'occuper de 3 enfants mineurs à charge qu'elle élève seule et qu'elle assume financièrement sa fille de 18 ans, étudiante ; les conséquences de l'exécution de la décision de suspension seront à bref délai irréversibles, précipitant la requérante vers la faillite professionnelle et personnelle ; - cette décision d'interdiction d'exercer porte une atteinte grave à sa liberté du travail, à sa liberté d'exercice de sa profession d'infirmière, à sa liberté d'entreprendre et à sa liberté du commerce et de l'industrie ; - la décision litigieuse a été édictée le 29 mars 2024 par le CROI alors que celui-ci était dessaisi depuis le 14 décembre 2022 en application de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique ; la décision est entachée d'erreur d'appréciation eu égard au caractère ancien des condamnations mentionnées dans l'arrêté ; la décision n'est pas suffisamment motivée ; la décision litigieuse est entachée d'erreur de droit, d'erreur de fait, d'erreur de qualification juridique des faits et d'erreur d'appréciation au regard de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique ; le CROI statuant sur le fondement de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique exerce un pouvoir de police et non de sanction et n'a pas de compétence en matière de répression disciplinaire ; il s'agit à l'évidence d'une sanction déguisée ; la décision est donc manifestement entachée d'incompétence, d'erreur de droit et de détournement de pouvoir et de procédure ; en dernier lieu, la durée de la procédure diligentée à son encontre achève de démontrer le caractère manifestement infondé de la décision de suspension et l'absence de caractère dangereux de son exercice La requête a été communiquée au Conseil régional de l'Ordre des infirmiers d'Auvergne-Rhône-Alpes qui n'a pas produit de mémoire.
Vu :
- les autres pièces du dossier ; Vu : - le code de la santé publique ; - le code de justice administrative. Le président du tribunal a désigné M. Vial-Pailler, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé ; Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. ont été entendus au cours de l'audience publique du 17 mai 2024, en présence de M. Palmer, greffier : - le rapport de M. Vial-Pailler, vice-président ; - les observations de Me Méot, représentant Mme A B. La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit
: 1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ". L'exercice, par le juge des référés, des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonné à la condition qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention dans de très brefs délais d'une mesure destinée à faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. 2. Aux termes de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique : " I. Dans le cas d'infirmité ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional ou interrégional pour une période déterminée, qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. Le conseil est saisi à cet effet soit par le directeur général de l'agence régionale de santé soit par une délibération du conseil départemental ou du Conseil national. Ces saisines ne sont pas susceptibles de recours. II. - La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional ou interrégional par trois médecins désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts. () IV. - Les experts procèdent ensemble, sauf impossibilité manifeste, à l'expertise. Le rapport d'expertise est déposé au plus tard dans le délai de six semaines à compter de la saisine du conseil. Si les experts ne peuvent parvenir à la rédaction de conclusions communes, le rapport comporte l'avis motivé de chacun d'eux. () VI. - Si le conseil régional ou interrégional n'a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l'affaire est portée devant le Conseil national de l'ordre. VII. - La notification de la décision de suspension mentionne que la reprise de l'exercice professionnel par le praticien ne pourra avoir lieu sans qu'au préalable ait été diligentée une nouvelle expertise médicale, dont il lui incombe de demander l'organisation au conseil régional ou interrégional au plus tard deux mois avant l'expiration de la période de suspension. () ". Aux termes de l'article R. 4124-3-2 du même code : " La décision du conseil régional ou interrégional est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au praticien intéressé, au conseil départemental, au conseil national, au directeur général de l'agence régionale de santé et, pour les praticiens relevant de l'une des situations statutaires mentionnées à l'article L. 4061-3, au service de santé des armées. La notification mentionne que la décision est susceptible de recours devant le Conseil national, dans le délai de dix jours, sur la requête du praticien intéressé, du conseil départemental ou du directeur général de l'agence régionale de santé et que le recours n'a pas d'effet suspensif () ". Aux termes de l'article R. 4124-3-3 du même code : " Les dispositions des articles R. 4124-3-1 et R. 4124-3-2 sont applicables devant le Conseil national. Sa décision est, en outre, notifiée au conseil régional ou interrégional. La notification mentionne que la décision est susceptible d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État dans le délai de deux mois. ". 3. Il résulte des dispositions des articles R. 4124-3, R. 4124-3-2 et R. 4124-3-3 du code de la santé publique précitées que si un praticien entend contester la suspension temporaire d'exercer prononcée à son encontre par un conseil régional ou interrégional, il doit former un recours devant le Conseil national de l'ordre, qui statue par une décision administrative. Il appartient à l'instance ordinale, lorsqu'elle se prononce en application de ces dispositions, d'apprécier, au vu de l'ensemble des éléments du dossier, notamment du rapport des experts, et compte tenu des éléments qui résultent de l'audition de l'intéressé, si le praticien présente une infirmité ou un état pathologique de nature à établir un caractère dangereux dans l'exercice de sa profession avec des patients. Dans le cas où, au terme de cette appréciation, elle prend une mesure de suspension du droit d'exercer, il lui incombe de motiver sa décision en indiquant les éléments au regard desquels, au vu de son instruction, elle estime que l'état du praticien intéressé rend dangereux pour les patients l'exercice de sa profession. 4. L'existence d'un recours administratif préalable ne fait pas obstacle ce que le juge des référés soit directement saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sous réserve que l'ensemble des conditions posées à cet article et rappelées au point 1 soient remplies. Au cas présent, Mme A B, qui présente devant le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une demande de suspension de la décision de la formation restreinte du Conseil régional de l'Ordre des infirmiers Auvergne-Rhône-Alpes, justifie, en outre, avoir saisi le Conseil national de l'ordre d'un recours préalable. 5. Il résulte de l'instruction que Mme B est interdite d'exercice pour une durée d'un an depuis la notification de la décision le 10 mai 2024. Il n'est pas contesté par le Conseil régional de l'Ordre des infirmiers d'Auvergne-Rhône-Alpes, qui n'a pas produit de mémoire en défense, que les revenus de l'intéressé proviennent quasi-exclusivement de son activité d'infirmière libérale conventionnée, de sorte qu'elle se trouve privée de tout revenu depuis le 10 mai 2024, qu'elle se trouve dans l'incapacité de faire face aux charges professionnelles qu'implique son activité libérale. En outre, l'impossibilité de prendre en charge ses patients va entraîner une dissipation de sa patientèle. Mme B n'est plus en mesure de faire face à ses charges personnelles, alors qu'elle doit s'occuper de trois enfants mineurs à charge qu'elle élève seule et qu'elle assume financièrement sa fille de 18 ans, étudiante. Dans ces conditions, Mme B est fondée à soutenir que la condition d'urgence prévue à l'article L. 521 2 du code de justice administrative est remplie. 6. En second lieu, Mme B soutient, sans être contredite, que le Conseil régional de l'Ordre des infirmiers d'Auvergne-Rhône-Alpes n'a été saisi d'aucune plainte de patient faisant état d'éléments de nature à caractériser l'existence d'une pathologie ou d'une dangerosité dans le cadre de son exercice. Par ailleurs, il ressort du rapport motivé établi à la demande du conseil régional par trois médecins désignés comme experts, le 6 juillet 2023, dans les conditions rappelées au point 2, que : " L'examen psychiatrique pratiqué le 22 Juin 2023 n'a pas mis en évidence d'argument convergent en faveur d'un trouble de la personnalité, d'antécédents psychiatriques ou d'un trouble psychiatrique en date du 22 juin 2023. L'examen psychiatrique pratiqué le 22 juin 2023 n'a pas mis en évidence de contre-indication médicale ou psychiatrique à l'exercice de la profession d'infirmier. Si Madame A B présentait des difficultés allant dans le sens de problèmes relationnels avec d'autres professionnels de santé ou une altération de sa compétence professionnelle, cela ne serait pas lié à un trouble psychiatrique ". Dans ces circonstances, alors que la décision contestée ne fait état d'aucun élément précis permettant de contredire les conclusions des experts dans leur rapport du 6 juillet 2023, Mme B est fondée à soutenir qu'il n'est pas démontré que son comportement constituerait un danger pour les patients qu'elle soigne et que la décision contestée porte une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté de travailler. 7. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre l'exécution, dans l'attente de la décision du Conseil national de l'Ordre des infirmiers, de la décision du 29 mars 2024 par laquelle la formation restreinte du Conseil régional de l'Ordre des infirmiers Auvergne-Rhône-Alpes a estimé que l'état de santé de Mme B rend dangereux l'exercice de sa profession et a prononcée à son encontre une suspension du droit d'exercer la profession pour une durée d'un an. Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative : 8. Le Conseil régional de l'Ordre des infirmiers Auvergne-RhôneAlpes est condamné à verser la somme de 2 000 euros à Mme B au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E
Article 1er : L'exécution de la décision de la décision du 29 mars 2024 par laquelle la formation restreinte du Conseil régional de l'Ordre des infirmiers Auvergne-Rhône-Alpes a estimé que l'état de santé de Mme B rend dangereux l'exercice de sa profession et a prononcée à son encontre une suspension du droit d'exercer la profession pour une durée d'un an est suspendue dans l'attente de la décision du Conseil national de l'Ordre des infirmiers. Article 2 : Le Conseil régional de l'Ordre des infirmiers Auvergne-Rhône-Alpes est condamné à verser la somme de 2 000 euros à Mme B au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B et au Conseil régional de l'Ordre des infirmiers Auvergne-Rhône-Alpes. Fait à Grenoble, le 17 mai 2024. Le juge des référés, C.Vial-Pailler La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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